Le Captain Cap et ses breuvages

14 février 2011

Le Captain Cap et ses breuvages

Alors, garçon, deux irish whishey cock tails! Et préparez-nous-les, carefully, vous savez?

—Et largefully, ajouta le Captain Cap avec son bon sourire.

Montmarte, 1900. Le cocktail bat son plein autour du Chat noir. Dagouret vient d'éditer son Barman Universel, Marie Brizard innove avec son curaçao « Topaze » et les artistes ne boudent pas « les breuvages produisant une harmonie gustative ». Parmi ceux-ci, le facétieux et poétique Alphonse Allais.

Baigné dès sa plus tendre enfance dans l'univers de la mixtion - son père était pharmacien, ami de Charles Cros, friand de chimie et féru de pyrotechnie, il n'en reste pas moins épicurien, fumiste et grand buveur. Sa passion pour le cocktail est comme la synthèse de ses différentes lubies.

A grand renfort de non-sens délicieux ou d'humour douteux et chatnoiresque, il témoigne de sa passion pour les breuvages « oncle-sameux » dans plusieurs billets où interviennent fréquemment un personnage haut-en-couleur, le Captain Cap. Chacune des rencontres d'Allais et du capitaine est l'occasion de nouvelles beuveries :

« — Ah ! voilà, fit Cap. Que pourrait-on bien boire ?

— Pour moi, fis-je, il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville, en sorte que je vais m’envoyer un bon petit corpse reviver. »

Albert Caperon, de son vrai nom, (1864 – 1898) est un « huron modernisé », pilier de bar chez qui la boisson est mise au rang de Grand Œuvre alchimique. Ses voyages – pour le moins chimériques – l'ont initié à l'art du cock-tail.

Il en donne démonstration avec le Stars and Stripes, manière de pousse-café, dont Allais livre la recette dans l'ouvrage éponyme, Le Captain Cap, ses aventures, ses idées, ses breuvages (1902) :

« Dans un verre flûte, versez, sans mélanger, crème de noyau, marasquin, chartreuse jaune, curaçao et verre fine champagne. Voilà pour les raies. Quant aux étoiles, vous les apercevrez aussitôt que vous aurez d'un seul coup, lampé cette spiritueuse polychromie. »

On déguste l'inévitable Cosmopolitan claret punch, l' Alabazam – je rêve de pouvoir un jour en commander un, ne serait-ce pour prononcer son nom avec mystère ! - les « infernaux whisky cocktails », des « pick me up soignés », des Martinis « l'un des meilleurs cocktails lorsqu'il est bien préparé » ainsi que des « Rocky mountain punch, avec énormément de glace dedans pour (s')assurer une vieillesse vigoureuse » :

« Dans un verre à gobbler (sic pour cobbler) rempli de glace pilée, deux cuillerées de sucre en poudre, le jus d'un demi-citron, demi verre de vieux rhum, une cuillerée à bouche de marasquin, finir avec du Saint-Marceaux, un morceau de sucre candi, fruits selon la saison. »

D'où le Cap titre-t-il ses recettes ? La plupart des mixtures sont des classiques du temps que l'on peut retrouver chez Leo Engel (American and Other Drinks, 1878) et Thomas Stuart (Stuart's Fancy Drinks and How to Mix Them, 1889). Mais la verve d'Alphonse Allais et la bonne humeur de son complice et mentor les servent mieux que n'importe quel guide !

Pour en savoir plus sur les aventures mixologiques du délicieux capitaine, figure pionnière du cocktail parisien, on lira sans mélancolie la recette de son Perfect drink. Morceau de bravoure de comptoir dans l'échange cocasse de Cap avec le bartender ! On retrouvera à la fin de l'édition originale du Captain Cap, un livret de recette laconique mais succulent. Enfin, pour en savoir davantage sur les exploits « politiques » du capitaine, ses projets électoraux - séparation de Montmartre avec le reste de la capitale, transformation de la place Pigalle en port de mer, rien de moins ! - on consultera la page qui lui est dédiée sur le site de l'Assemblée nationale … et maintenant buvons « notre drink, largement, comme font les hommes libres, forts, rythmiques et qui ont la dalle en pente ».