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Nunc est bibendum
27 février 2011

Les cocktails de Paris

 

Il en va des ouvrages anciens relatifs aux cocktails comme des anciens cocktails eux-mêmes. Ce sont souvent de belles rencontres. Car si leur recette sont éprouvées, il est loisible d'exhumer à leur lecture ou à leur absorption la gaieté et la belle humeur d'une époque croustillante.

 

shakkerAinsi en est-il des Cocktails de Paris présentés par Rip en 1929. Georges Gabriel Thenon de son vrai nom, (1881 – 1941) revuiste et chansonnier parisien, préside à cette expérience éditoriale et mixologiste inédite et inégalée. L'ouvrage sort du lot. D'une part, l'édition en est élégante - magnifiques illustrations art-déco - d'autre part il regorge de finesse, de pétillant et de largeur d'esprit : de quoi nous plonger dans la joyeuse et insouciante ambiance mondaine des décennies de l'entre-deux-guerres et des Roaring Twenties – pardonnez l'anglicisme ! Car comme son nom l'indique, l'ouvrage se veut patriote avec ces cocktails à la française auxquelles les barmens gaulois ont apporté « leur sens de nuance et de bon goût » « en y introduisant chaque jours avec plus de réussite les fruits incomparables de son sol et sa fabrication. »

Maurice des Ombiaux, écrivain et gastronome belge à qui l'on a confié la charge d'introduire l'ouvrage, avoue que si le cocktail est bien une mode, un américanisme, il convient cependant de l'adopter, sans ostracisme : « nous ne sommes pas des Quakers que diable ! » Au reste, « aujourd'hui que les U.S.A sont secs et prohibitionnistes », l'Hexagone est en passe de devenir la terre de prédilection de ces « mélanges savants et délicieux que l'on sert maintenant dans les bars du monde entier, et pour la confection desquels la France réclamera bientôt la prépondérance. » Et enthousiaste Rip de prophétiser : « D'ici peu nous devons avoir rendu le cocktail français aussi célèbre que la cuisine française. » On y trouvera d'ailleurs aux côtés des cocktails les recettes de quelques « frivolités alimentaires » « pour faciliter leur absorption » et le bottin des Bonnes adresses où l'on peut les déguster.

 

 

cocktails_de_parisAutre originalité de l'ouvrage, les boissons sont signées du nom d' « amateurs de haut goût ou des professionnels dont la réputation est consacrée » qui pour la plupart appartiennent au monde du spectacle. La part belle est faite aux chanteuses : Marie Dubas, Damia, Gaby Montbreuse, la cantatrice Lucienne Herblay et René Dorin, animateur du Quart d'heure Cinzano.

Quelques créations sont paraphés par des personnalités du muet tels Pierre Blanchar, Pepa Bonafé, Blanche Montel, Véra Sergine, épouse de Pierre Renoir, Dolly Davis, Melle Doudjam. Tout le beau monde du temps associe sont nom à une mixtion : Weiluc, affichiste belge, Paul Colin, illustrateur de l'ouvrage, Maurice de Waleffe, journaliste mondain, Lucien Gaudin, escrimeur émerite, Adrienne Bolland, aviatrice et son « Rase-motte », Germaine Dulac, cinéaste d'avant-garde, Alberto Cavalcanti, réalisateur brésilien, Jean Sarment, auteur et écrivain, Raquelle Meller, vedette espagnole du music-hall. Rétrospectivement, l'ouvrage est teinté de lueurs apocalyptiques et c'est encore l'heure de gloire, pour quelques instants, pour Maud Loty ou Titaÿna. La première, actrice du muet et ami de Fréhel, qui jouait au Théâtre des Capucines dans la revue de Rip (« Un chien qui rapporte ») sombra après-guerre dans l'alcool et la misère. Quant à la seconde, Titaÿna (alias Elisabeth Sauvy, sœur d'Alfred), garçonne pionnière de l'aviation, reporter globe-trotteuse, amie de Cocteau, elle devait connaître une fin tout aussi misérable, le collaborationnisme. Comme un symbole de la fin d'une époque, le réalisateur Abel Gance propose la recette de son « La fin du monde » ...

 

lancel


Au-delà de la kyrielle de célébrités, Les Cocktails de Paris est une mine de trouvailles mixologiques dont les recettes sont « garanties parfaites ». La seule évocation des noms de baptêmes des créations vous donnera soif : le « Jean de la Lune », les « Liliane », « Huguette » et « Josette », « Mon péché » et « Extase voluptueuse », le « Ce soir ou jamais », la « Femme du monde » et la « Négresse blonde » en l'honneur de Joséphine Baker et de Georges Fourest. Exhalation de la vitesse et de l'émancipation féminine, les « Six cylindres », « Ton corps est à toi » cocktail dédié aux Garçonnes ; des hommages aussi au monde du spectacle avec le « Trois jeunes filles nues ».


la_jungle

Quelques recettes ….

« La Madone » présentée par Maurice Dekobra, romancier dans la veine de Dumas et Fleming, auteur de La Madone des Sleeping,

¼ de Bénédictine

¼ de Cordial Médoc

¼ de Kummel

¼ d'eau de vie de gingembre

 Izarra_1924

Côte d'Émeraude, de Rémy et Gaston du Bœuf sur le Toit,

de Gordon Gin

d'Armagnac

d'Izarra verte

1 trait de citron

 

Le « Regrets infinis » de Tristan Bernard : « Je n'ai aucune recette de cocktail. Et je ne veux attacher mon nom à aucune de ces mixtures. Car le médecin me défendant l'alcool, je tiens à en priver le reste de l'humanité. Sentiments cependant les meilleurs. »
 

Enfin, pour délecter en musique un cocktail "années folles", je vous propose de savourer « Un cocktail » de Jean Sablon … et nunc est bibendum.

 

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